Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/02/2016

Convergences [2] : un jeune historien réfute le mythe de "la fin des idéologies"

 hqdefault.jpg

"L’épuisement du messianisme socialiste et la déshérence induite par le matérialisme capitaliste offrent une opportunité historique de réenchanter le monde" (Johann Chapoutot) :


 

 

Le plus sot lieu commun consistait à condamner « les idéologies » au nom de « la réalité ». Qu'entendait-on par « idéologies » ? Les vieux totalitarismes ? Ce n'était qu'un prétexte. Les années 1980 en profitaient pour condamner du même coup les idéaux. Et même les idées. De tout cela elles firent table rase au profit d'une seule puissance : le capitalisme, désormais confondu avec « la réalité »... A partir des années 1990, « la réalité » s'est confondue avec l'ultralibéralisme, devenu Horizon Indépassable. Ce processus occidental est rappelé par le jeune historien Johann Chapoutot dans une tribune intitulée La fin des idéologies ?* :

<< Il faut faire un effort considérable pour se souvenir des années 90 [...] On parlait de fin de l’histoire, car il n’y avait plus de dialectique des forces, le duel entre Est et Ouest, entre socialisme autoritaire et capitalisme libéral, s’étant soldé par la victoire du second sur le premier. Enfin allait-on pouvoir passer aux choses sérieuses et s’occuper du "réel", celui que prenait en charge le capitalisme vainqueur […] Fin des idéologies, et fin de l’histoire : après la lutte, après les guerres, fussent-elles froides, advenaient enfin la grande stase de la paix, et la grande extase d’un progrès indéfini. Tout ce qui arriverait, désormais, irait dans le bon sens ; avec la mondialisation des échanges, c’est le grand rêve du XVIIIsiècle libéral qui se réaliserait en cette fin de XXe : le commerce ouvrirait les portes, les cœurs et les intelligences, diffuserait le bien-être et les idées qui le sous-tendaient... >>

Ainsi a-t-on abouti à la situation décrite par Eloi Laurent (cf. notre note précédente) : l'acide libéral submergeant tout et dissolvant le politique, le culturel, le social et le sociétal, y compris la cellule familiale et les moeurs individuelles.

Cette « dissociété » n'est pas viable. Elle commence à s'autodétruire sous nos yeux. On s'aperçoit qu'en fait d'anti-idéologie, la pensée unique était elle-même une idéologie (et pas la plus récente) : le matérialisme mercantile, apparu à l'époque de Voltaire comme infrastructure des Lumières...

C'est d'ailleurs aux Lumières que nos élites dissociales en appellent aujourd'hui, pour tenter de conjurer ce qu'on n'avait pas vu venir : le retour massif – sous des formes diverses et contradictoires – de ce que les élites occidentales avaient déclaré aboli : la puissance mobilisatrice des idées. Et ce retour s'opère sous une forme religieuse, alors que  les élites de la fin du XXe siècle avaient cru justement se débarrasser des idées et idéaux en les assimilant à ce qui doit par nature quitter la scène : le « religieux », « vestige archaïque de temps reculés et appelé à disparaître face aux Lumières (sécularisation et prospérité) ».*

Hélas pour les élites, cette forme de « prospérité » se révèle insoutenable, et la sécularisation est minoritaire dans le monde comme le dit Jean Duchesne dans son livre**. « L’épuisement du messianisme socialiste et la déshérence induite par le matérialisme capitaliste offrent une opportunité historique de réenchanter le monde », estime aujourd'hui Chapoutot. Et il met en parallèle deux ripostes religieuses à « une mondialisation pas toujours heureuse » : la propagation d'un islamisme conquérant, et... la « renaissance catholique » amorcée dès 1978-1979, dit-il, par le « très combatif » Jean-Paul II !

L'islamisme comparé à la renaissance catholique ? Ce parallèle fera hurler des deux côtés : il néglige notamment la différence objective (l'incompatibilité d'intentions et d'actions) qui oppose les deux phénomènes.

Mais il a tout de même une pertinence sous l'angle qui intéresse l'historien. Les deux phénomènes montrent, pour le meilleur ou pour le pire, la résilience d'une fibre humaine – le spirituel – qui se manifestait depuis l'aube des temps, mais que les libéraux avaient cru « ensevelir sous leur mythe » (Eloi Laurent) en la disqualifiant comme idéologique : c'est-à-dire non-marchande.

Le fait est que la mondialisation a réveillé la conscience catholique et produit la fureur islamiste... «  Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des mondes imaginés et des quêtes de sens - pas forcément toutes violentes et meurtrières », observe Chapoutot. Sa phrase appelle trois commentaires : 1. il a le droit de réduire le religieux à l'imaginaire (comme nous avons le droit de ne pas l'y réduire) ; 2. la révolution du pape François vient secourir l'humanité, celle du « calife » vient la mutiler (la révolution du pape est l'antithèse de celle du calife) ; 3. l'une et l'autre révolution se présentent comme des réponses à la prétention totalitaire du Mammon mondial ; mais la réponse du calife est un autre totalitarisme, ce que n'est pas la réponse du pape.

Johann Chapoutot ne partagera pas toutes ces affirmations ; convergence n'est pas concordisme. Mais entre lui et nous il y a convergence sur deux points : en dépit de ce que prétendaient les philosophes de cour des années 1990, « l'histoire n'est pas finie » ; et la renaissance catholique n'en sera pas absente. J'ajoute que cette renaissance porte une révolution.

 

 _______________

* Libération/Idées 24/02.

** Notre note du 24/02.

 

Les commentaires sont fermés.